Newsletter mars 2016
Réforme du droit des contrats: insécurité juridique accrue ?
Au 1er octobre 2016, le droit des contrats sera assez considérablement refondu.
La Chancellerie a modifié le projet initial sur certains points, mais les modifications sont très importantes sur le fonds dans le texte final quant à leurs incidences juridiques potentielles.
Certains y voient déjà le « réceptacle des contradictions du XXe siècle, d’évolutions jurisprudentielles, et parfois législatives, fluctuantes »
L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal Officiel. Il ne restait à cette date que 5 jours à la Chancellerie pour procéder à la modernisation du droit des contrats en usant de l’habilitation législative dont elle disposait depuis la loi adoptée un an auparavant, le 16 février 2015.
Présentation succincte des différents points sensibles de la réforme qui fera ultérieurement l’objet d’une loi de ratification:
1° – Mise en concurrence de la notion de « bonne foi « et maintien du principe de la « liberté contractuelle »
L’élargissement de la notion de » bonne foi » dans la réforme, notion subjective et vague, et l’affirmation maintenue du principe de la » liberté contractuelle » sont dorénavant mises sur un même plan dans le Code Civil.
Ces principes, ainsi mis en concurrence et susceptibles, plus encore que par le passé, de générer des contradictions en cas de litiges, valent désormais pour toute la vie d’un contrat.
2° – Méthode d’articulation des règles applicables aux contrats et interdiction des » clauses abusives »
L’article 1105 précise que « Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du Code Civil.
Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux.
Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ».
Cette notion quant à l’articulation des règles applicables a son importance, notamment dans le cadre de l’insertion de la théorie des « clauses abusives » au sein du code civil (article 1171). Car l’interdiction des clauses abusives est également énoncée par des règles spéciales et particulières à l’article L.132-1 du Code de la Consommation et à l’article L.442-6, I, 2 du Code de Commerce.
Par ailleurs la référence aux clauses abusives dans le Code Civil est désormais limitée aux « contrats d’adhésion » maintenant définis par le code (article 1110).
3° – Nouveauté importante : un « devoir général d’information » réciproque est désormais institué entre les co-contractants
L’ordonnance introduit un « devoir général d’information » (article 1112-1).
Il est assez précisément défini, puisqu’il identifie les informations soumises à cette obligation et que chaque co-contractant doit délivrer à l’autre.
Il conviendra donc de bien prendre en considération cet élément avant la signature d’un contrat.
La responsabilité civile de chacune des parties contractantes va probablement, à l’avenir, s’en trouver accentuée.
4° – Les notions de « violence économique » et de « déséquilibre significatif » d’un contrat sont pris en compte
Autre point qui a suscité de nombreuses critiques, celui de l’apparition de la théorie de » violence économique » en tant que vice du consentement (article 1142). Là encore, le texte final a évolué par rapport à celui initial.
Elle sera admise en cas «d’abus de l’état de dépendance de son partenaire commercial », notion qui est suffisamment vague pour provoquer probablement de nombreuses interprétations jurisprudentielles à venir.
5° – L’ imprévision » devient un motif possible de dédommagement ou de résolution du contrat initial
L’ordonnance consacre » l’imprévision » (article 1195).
Là encore, le pouvoir accordé au juge pour mettre fin à un contrat « en cas de changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion» de celui-ci et rendant son exécution « excessivement onéreuse », était largement critiqué par les praticiens.
Une légère révision du libellé de l’article du projet initial a été opérée, mais la notion d’imprévision a été néanmoins consacrée.
Ainsi, dans le cas où les parties ne seraient pas d’accord pour renégocier le contrat elles pourraient, tout d’abord, « convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent », puis, demander au juge d’intervenir.
En cas de déclenchement de cette seconde étape, le juge pourrait alors choisir d’allouer un dédommagement et, dorénavant, ne serait plus uniquement tenu de mettre fin au contrat.
Commentaire global:
Cette réforme s’inscrit dans un mouvement général d’européanisation du Droit des Obligations fortement marqué par la culture du Droit Anglo-saxon.
Le pouvoir des juges est renforcé en matière de relations contractuelles et la tendance sera manifestement, en raison du contenu même de cette réforme, un nécessaire « épaississement » du contenu et du volume des contrats et cela pour mieux anticiper les solutions des éventuels litiges.
Ces derniers pourraient en effet s’accroître, notamment en raison de la coexistence, et parfois du renforcement, de certaines notions dont les contradictions sont potentiellement sources de contentieux.
Ainsi, par exemple, mettre la « bonne foi », qui est une notion vague et subjective, sur le même plan que la « liberté contractuelle » promet des difficultés d’application et des contradictions sur lesquelles la jurisprudence aura fort à faire …
Autre exemple: toucher à la force obligatoire du contrat et à son intangibilité pour introduire la notion d’adaptation possible du contenu du contrat en cas de » changement de circonstances imprévisibles », autre notion floue, laisse également augurer de très nombreux litiges potentiels…
Cette réforme qui jongle donc avec des notions imprécises, sources de contradictions multiples, et qui supposera, pour sa mise en œuvre, la maîtrise de raisonnements juridiques complexes ne favorisera guère la sécurité des conventions, notamment dans le monde des entreprises.
Le décryptage de tout ceci s’annonce évidemment très délicat sur le plan pratique et la « simplification » qui est pourtant l’un des objectifs essentiels de la réforme risque, hélas, dans de telles conditions, de ne pas être au rendez-vous ….
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