Sommaire :
Définition du harcèlement moral
L’obligation pour l’employeur de prévenir tout fait de harcèlement moral
La protection des salariés victimes ou témoins d’un harcèlement moral
Recours et indemnisation du salarié victime de harcèlement moral
La sanction du harcèlement moral
La charge de la preuve en matière de harcèlement moral
I – Définition du harcèlement moral :
La définition du harcèlement moral est donnée à l’article L1152-1 du Code du Travail :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Il convient d’ores et déjà de signaler que les dispositions sur le harcèlement moral figurant au Code du Travail aux articles L1152-1 à L1152-3 ne s’appliquent pas à des faits antérieurs au 17 janvier 2002, date de la loi ayant institué ces textes.
L’article L1152-1 du Code du Travail ne définit pas précisément la notion de harcèlement moral mais en fixe les conditions, laissant en conséquence, au Juge un pouvoir d’appréciation important.
Le harcèlement moral se définit donc par son objet et/ou ses effets :
Les actes de harcèlement moral sont interdits par la loi, qu’ils soient intentionnels ou non.
Ainsi, il n’est pas nécessaire, pour démontrer l’existence d’une situation de harcèlement moral, d’apporter la preuve de l’intention de nuire de l’auteur ou sa volonté de harceler. Le harcèlement moral sera caractérisé dès lors que les agissements répétés auront pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Trois conditions cumulatives doivent être réunies et donc, caractérisées par le Juge, pour que soit retenu le harcèlement moral :
- Des agissements répétés (1)
- Une dégradation des conditions de travail (2)
- Une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l’avenir professionnel du salarié (3)
(1) Des agissements répétés :
Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements incriminés doivent être répétés.
Ainsi, un acte isolé même grave, ne pourra être qualifié de harcèlement moral.
Le harcèlement moral a été caractérisé par le Juge prud’homal, dans l’hypothèse d’insultes quotidiennes, de critiques systématiques, d’acharnement de l’employeur, de sanctions multiples sans justification.
En revanche, il n’est pas exigé, que ces agissements interviennent sur un laps de temps long ou, au contraire, à intervalles rapprochés.
(2) Une dégradation des conditions de travail :
Le harcèlement moral est donc défini par rapport à ses incidences sur les conditions de travail du salarié victime à savoir, une dégradation des conditions de travail susceptible :
- de porter atteinte à ses droits et à sa dignité
- d’altérer sa santé physique ou mentale
- de compromettre son avenir professionnel.
Il ne s’agit pas de conditions cumulatives ; ce qui signifie qu’il suffit de démontrer l’un de ces trois éléments pour que le harcèlement moral puisse être retenu.
Ainsi, si le salarié qui se dit victime de harcèlement moral démontre par exemple, une altération de sa santé, il n’aura pas à démontrer par ailleurs, que son avenir professionnel est compromis ou qu’il a été porté atteinte à ses droits et à sa dignité.
Rappelons là encore, qu’il n’est pas nécessaire pour démontrer le harcèlement moral, d’apporter la preuve que l’auteur des faits avait l’intention d’aboutir à une dégradation des conditions de travail du salarié victime.
Les atteintes à la dignité retenues par les Juges touchent généralement les conditions de travail du salarié ; elles se manifestent par une mise au placard, des brimades, vexations, ou des humiliations.
S’agissant de l’altération de la santé, l’exemple le plus fréquent consiste dans le syndrome anxio-dépressif manifesté par le salarié victime qui en justifie généralement, certificat médical à l’appui.
Récemment, la Cour de Cassation a eu à se pencher sur la question de savoir si certains modes de management pouvaient être constitutifs de harcèlement moral. Il s’agissait de déterminer la frontière entre le harcèlement moral et l’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction.
Par un arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de Cassation a jugé que :
« Les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
En l’espèce, il s’agissait d’un directeur d’établissement qui soumettait ses salariés à une pression constante, formulait des reproches incessants, émettait des ordres et des contre-ordres et cherchait à diviser l’équipe.
Cette méthode managériale a été considérée comme constitutive d’un harcèlement moral alors que, parallèlement, et c’est une obligation, il était démontré que le salarié qui agissait en justice pour faire sanctionner ce harcèlement moral, avait été personnellement victime de ces agissements.
Celui-ci était victime d’un mépris affiché, d’une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau qui avait entraîné pour lui, un état très dépressif.
(3) Le harcèlement moral peut être le fait de l’employeur, de son représentant tel le cadre titulaire d’une délégation de pouvoirs, d’un supérieur hiérarchique.
Il peut également s’exercer entre collègues n’ayant pas de rapport hiérarchique ou être le fait d’un subordonné envers son supérieur hiérarchique.
Les personnes pouvant se prévaloir de la protection édictée en matière de harcèlement moral sont :
- les salariés qui ont subi des agissements de harcèlement moral ;
- les salariés qui ont refusé de subir de tels agissements ;
- les salariés qui ont témoigné de ces agissements ou les ont relatés.
Le salarié bénéficie de cette protection quel que soit le contrat de travail dont il est titulaire (contrat à durée indéterminée, contrat à durée déterminée…)
II – L’obligation pour l’employeur de prévenir tout fait de harcèlement moral :
L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise.
Il ne lui suffit pas de démontrer qu’il a mis en œuvre tous les moyens pour assurer la santé et la sécurité de ses salariés, pour s’exonérer de toute responsabilité.
S’agissant du harcèlement moral, l’article L1154-4 du Code du Travail dispose qu’il doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement moral.
Cela signifie que dès lors qu’un salarié est victime de faits de harcèlement moral, l’employeur a manqué à son obligation de prévenir de tels actes et à son obligation de sécurité de résultat.
D’ailleurs, depuis deux arrêts de la Cour de Cassation en date du 3 février 2010, il ne suffit plus à l’employeur de démontrer qu’il a pris des dispositions pour mettre un terme à la situation de harcèlement moral, pour échapper à toute responsabilité.
Il faut encore rappeler que le règlement intérieur doit obligatoirement, en vertu de l’article L 1321-2 du Code du Travail, rappeler les dispositions relatives à l’interdiction de toutes pratiques de harcèlement moral.
Enfin, signalons l’accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010 auquel le Ministre du Travail a conféré une portée très large, en l’étendant par un arrêté du 23 juillet 2010.
Cet arrêté rend obligatoires les dispositions de l’accord pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d’application (industries, commerces et services, y compris les artisans).
La finalité de l’accord est :
- la sensibilisation des employeurs afin de mieux appréhender ces phénomènes, les prévenir c’est-à-dire les réduire et au mieux, les éliminer ;
- la proposition de lignes directrices s’agissant de mener une politique de prévention à travers la fourniture d’un cadre concret pour l’identification, la prévention et la gestion des problèmes de harcèlement et de violence au travail.
À défaut de respecter les principes énoncés par cet accord, la responsabilité des entreprises incluses dans son champ d’application est susceptible d’être retenue.
III – La protection des salariés victimes ou témoins d’un harcèlement moral :
L’article L 1152-2 du Code du Travail dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoirs relatés.
Le salarié harcelé ou témoin pourra solliciter l’annulation de toute décision de représailles dont il fait l’objet.
L’interdiction des agissements de harcèlement moral pourra entraîner la nullité de la rupture du contrat, la nullité des sanctions, la nullité des mesures discriminatoires.
Par exemple, le salarié qui est absent pour cause de maladie pendant une longue période et qui est licencié par l’employeur qui argue de la désorganisation entraînée par son absence et de la nécessité de procéder à son remplacement définitif, pourra solliciter en justice, l’annulation de ce licenciement dès lors que la maladie est la conséquence des faits de harcèlement moral dont il a été victime.
Il en sera de même pour le salarié licencié en raison de son inaptitude dès lors que celle-ci résulte également des faits de harcèlement moral.
IV – Recours et indemnisation du salarié victime de harcèlement moral :
Comme cela a déjà été indiqué ci-dessus, lorsque l’employeur procède au licenciement d’un salarié témoin ou victime de harcèlement moral, celui-ci pourra être annulé.
Le salarié pourra alors prétendre à sa réintégration au sein de l’entreprise. Le Juge lui allouera des dommages-intérêts afin de réparer son préjudice durant la période entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant cumulé des salaires dont il a été privé et, éventuellement, des dommages-intérêts complémentaires en réparation du préjudice subi, notamment moral.
Si le salarié ne souhaite pas être réintégré, il pourra prétendre au paiement des indemnités de rupture et à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement.
Il pourra aussi, prétendre à la réparation d’un préjudice moral distinct.
Le salarié pourra aussi, face à ces agissements de harcèlement moral, prendre acte de la rupture de son contrat de travail (ce qui mettra fin immédiatement au contrat de travail).
Il devra engager ensuite, une procédure prud’homale pour faire requalifier cette prise d’acte de rupture en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec les conséquences indemnitaires en découlant, dès lors qu’il est jugé que « sa prise d’acte » était justifiée par un manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles.
Il pourra également solliciter du Conseil de Prud’hommes, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Si de telles demandes supposent que soit démontré un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles, nul doute qu’un tel manquement sera considéré comme constitué, dans l’hypothèse d’un salarié victime de harcèlement moral.
Enfin, il faut indiquer que certains suicides ou tentatives de suicide intervenus sur le lieu et au temps du travail et qui sont la conséquence d’un harcèlement au travail, peuvent être reconnus comme accident du travail.
Pour le salarié, la qualification d’accident du travail peut avoir des incidences importantes tant sur le montant des prestations versées, que sur celui des indemnités susceptibles de lui être versées.
IV – La sanction du harcèlement moral :
Il s’agit ici tout d’abord, de sanctionner l’auteur du harcèlement moral.
La sanction peut être de deux types :
- disciplinaire (1)
- pénale (2)
(1) La sanction disciplinaire :
En vertu des dispositions de l’article L1152-5 du Code du Travail, le salarié qui s’est rendu coupable d’agissements de harcèlement moral est passible de sanction disciplinaire.
Il s’agit ici de l’hypothèse dans laquelle l’auteur des faits de harcèlement moral n’est pas l’employeur lui-même.
Si, l’employeur dans le cadre de son pouvoir disciplinaire est seul juge de l’opportunité de sanctionner disciplinairement un salarié, en matière de harcèlement moral, il a le devoir d’exercer son pouvoir disciplinaire.
Tenu en vertu de l’article L1222-1 du Code du Travail d’exécuter de bonne foi le contrat de travail et de l’obligation d’assurer la santé et la sécurité des salariés sur leur poste de travail et à ce titre, de prévenir tous les agissements de harcèlement, son inertie pourrait lui être reprochée.
S’agissant de la sanction disciplinaire à prononcer, la Cour de Cassation par un arrêt en date du 5 mars 2002, fait le choix de la sévérité et semble vouloir imposer la qualification de licenciement pour faute grave, pour tout acte de harcèlement.
(2) La sanction pénale :
Le fait de commettre des agissements de harcèlement moral est constitutif d’un délit sanctionné à l’article L 1155-2 du Code du Travail, par une peine d’emprisonnement maximale de 3 ans et par une amende de 45 000 €.
Au-delà de la sanction encourue par l’auteur des faits de harcèlement moral, se pose la question de l’éventuelle sanction de l’employeur lorsqu’il n’est pas l’auteur des faits.
En effet dès lors qu’un salarié est victime de harcèlement moral, cela signifie que l’employeur a manqué à son obligation d’assurer sa santé et sa sécurité sur son poste de travail.
Sa responsabilité sera engagée et il sera tenu de réparer les conséquences du harcèlement moral subi par le salarié victime.
V – La charge de la preuve en matière de harcèlement moral :
Si, en justice, la charge de la preuve incombe dans la plupart des cas, au demandeur, s’agissant du harcèlement moral, la charge de la preuve a été aménagée tant il est clair qu’en ce domaine, la preuve s’avère souvent difficile à rapporter.
En vertu des dispositions de l’article L 1154-1 du Code du Travail, le salarié doit établir les faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Le juge doit former sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utile.
Ainsi donc, dès lors que le salarié produit des pièces laissant présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral, l’employeur doit prouver que le harcèlement n’est pas constitué.
Là encore, il faut rappeler que cet aménagement de la charge de la preuve ne s’applique pas pour les instances en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 2003.
La Cour de Cassation impose au Juge de caractériser que les différentes conditions constitutives du harcèlement moral sont bien réunies.
Au titre des pièces laissant présumer des agissements de harcèlement moral, la victime pourra verser aux débats, des témoignages de collègues de travail, de clients, de témoins directs des faits, des SMS, des courriers émanant de l’auteur des faits, des mails, des sanctions mêmes amnistiées, des documents médicaux…
L’on peut conclure en indiquant que le contentieux du harcèlement moral est en constant développement et que la Cour de Cassation n’a pas fini de nous éclairer sur ce débat dans lequel elle semble bien décider à s’immiscer.