En cas de cession de parts sociales, la date d’entrée en jouissance de l’acquéreur est celle mentionnée dans l’acte de cession et non celle éventuellement mentionnée dans le procès-verbal d’une assemblée, prétendument tenue antérieurement, qui, n’ayant pas été publié ou enregistré, n’a pas de date certaine.
FAITS :
Le 6 juin, les deux associés d’une société cèdent la totalité de leurs parts, pour un prix global de 150 000 euros. Ce même jour, chacun des cédants signe une garantie d’actif et de passif au profit de l’acquéreur.
Néanmoins, une assemblée générale, tenue le 29 juin, décide de distribuer un dividende de 176 000 euros aux cédants.
L’acquéreur conteste la régularité de cette assemblée et demande la restitution des sommes ainsi distribuées aux cédants.
DISCUSSION :
Pour défendre la régularité de la distribution dont ils se prévalent, les cédants ont développé les arguments suivants :
– divers indices (échanges de sms, de courriers électroniques, date d’encaissement du chèque de paiement du prix…) établiraient que la cession n’a pas eu lieu le 6 juin, mais le 23 juillet. Cette dernière date serait confortée par le fait que les actes de cession n’ont été enregistrés que le 1er août et n’ont fait l’objet d’une publication au registre du commerce et des sociétés que le 28 août ;
– en tout état de cause, une assemblée générale extraordinaire du 25 mai aurait décidé le principe d’une mise en distribution du dividende, de telle sorte que la créance des cédants sur les bénéfices distribuables est née à cette même date du 25 mai, bien avant celle de la cession, qu’elle ait eu lieu le 6 juin ou le 23 juillet ;
– enfin, le cessionnaire peut difficilement prétendre avoir acquis, pour 150 000 euros, des parts lui donnant droit sur des bénéfices de 176 000 euros.
DECISION :
Rejet par les juges des prétentions des cédants : l’acte de cession prévaut sur le Procès-Verbal à date incertaine d’une Assemblée « prétendument » antérieure à la cession.
Les juges n’ont pas été convaincus par les arguments des cédants, au regard des éléments suivants :
– les indices invoqués par les cédants ont une authenticité douteuse, et une signification incertaine, de telle sorte qu’ils ne démontrent pas que la cession ne serait pas intervenue le 6 juin. Si c’est avec retard que les actes de cession ont été enregistrés et publiés, ce retard n’est pas significatif et il a donné lieu à des pénalités, remboursées par les cédants au cessionnaire ;
– le contenu de la prétendue assemblée du 25 mai, qui aurait décidé le principe de la distribution, est contredit par les termes des garanties d’actif et de passif, selon lesquels « depuis le 31 décembre précédent, la société n’a pris aucune décision, n’a effectué aucun versement, aucune distribution ou répartition à ses associés, de bénéfices, dividendes, acomptes sur dividendes, réserves ou autres éléments d’actif ».
En tout état de cause, le procès-verbal de cette prétendue assemblée n’a donné lieu à aucune mesure de publicité et n’a donc pas de date certaine ;
– s’il est étonnant que le prix de cession (150 000 euros) ait été fixé à un montant inférieur à celui de l’actif net de la société cédée, cette considération ne suffit pas à démontrer que la vente ne serait pas intervenue le 6 juin, avant la date de la distribution contestée ;
– les actes de cession des parts, datés du 6 juin, stipulent bien une entrée en jouissance immédiate du cessionnaire ;
– ces actes et les garanties d’actif et de passif portent la signature des cédants et du cessionnaire, apposées à côté de l’indication de cette date du 6 juin. Le représentant de l’un des cédants, gérant de la société, a rédigé, signé et daté, de façon manuscrite, sa démission, à cette même date. Ces observations rendent peu plausible selon les juges l’erreur de date invoquée par les cédants.
Il a été jugé, en conséquence, par les magistrats saisis, que l’entrée en jouissance du cessionnaire sur les parts cédées a bien eu lieu le 6 juin, que la distribution du dividende, irrégulièrement pratiquée le 29 juin au profit des cédants est inopposable au cessionnaire. Les cédants ont, par conséquent, été condamnés à lui reverser la somme correspondante.