La liberté d’expression est-elle remise en cause par celle du droit au respect de la vie privée ?
C’est à cette question qu’a tenté de répondre la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) par une décision du 25 Mars 2021.
En 2007, un nouveau PDG arrive à la tête d’une entreprise (grecque).
Il demande à l’ensemble des salariés de lui communiquer toute information pertinente en rapport avec leurs activités professionnelles.
S’exécutant, la juriste de la société l’informe des procédures judiciaires en cours à l’encontre de l’entreprise.
Le PDG, ayant des doutes quant à l’exactitude de ces informations, décide de mettre un terme aux fonctions de la juriste et exige la restitution des dossiers dont elle a la charge.
Estimant qu’elle tardait à lui remettre l’ensemble des informations sur les procédures judiciaires, il lui adresse un document dans lequel il déclare : « Nous condamnons le comportement non professionnel et contraire à l’éthique dont vous avez fait preuve à l’égard de notre société (…) [qui témoigne d’] une intention malveillante de votre part de nuire aux intérêts de la société pour se venger du fait que nous vous ayons démis des fonctions qui vous avaient été attribuées (…). Les informations que vous nous avez fournies jusqu’à présent sont incomplètes et erronées ».
La salariée décide alors de déposer une plainte, de déposer une plainte contre son ancien PDG pour diffamation calomnieuse
Cette plainte conduira à une condamnation de l’intéressé à 5 mois de prison avec sursis.
Il saisit alors la CEDH sur le fondement de la violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».
La CEDH a rappelé que l’exercice de cette liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions qui doivent répondre aux trois conditions suivantes :
- être prévues par la loi ;
- constituer des mesures nécessaires dans une société démocratique ;
- poursuivre un but légitime
En l’espèce, il existait une loi dans le pays concerné.
La première condition est donc remplie.
Sur le caractère nécessaire, la CEDH a estimé que cela devait être examiné au regard du principe du respect de la vie privée du salarié.
Pour ce faire, la CEDH se fonde sur des critères qu’elle a dégagés de sa propre jurisprudence :
- la nature et le mode exact de communication des déclarations,
- le contexte dans lequel elles ont été énoncées,
- l’impact de ces déclarations pour la personne visée,
- la sévérité de la sanction infligée.
Les propos n’étant ni vexatoires ni insultants et n’ayant pas été rendus public ne pouvaient avoir eu d’incidence sur la réputation du destinataire.
Il convient par ailleurs de tenir compte du contexte dans lequel ont été tenus ces propos.
Au regard de l’ensemble de ces éléments de contexte et de fait, la CEDH a considéré que la condamnation à 5 mois d’emprisonnement avec sursis n’était ni justifiée ni nécessaire dans une société démocratique, car une telle sanction conduit à rendre dissuasif l’exercice de la liberté d’expression de sorte que la violation de cette liberté est établie.
Pour autant, cela signifie que certains propos ou certains contextes peuvent conduire un employeur a être condamné si les juges les considèrent comme insultants ou injurieux.
Le principe est le même pour les salariés.
La vigilance doit donc être de mise.