Le fait pour un bailleur de mettre à disposition d’un preneur un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter, moyennant contrepartie financière, appelle la qualification de bail rural soumis au statut du fermage (cf. article L411-1 du code rural).
Ce type de bail représente les trois quarts des conventions conclues. Il entraîne, tant pour le bailleur que le preneur, un ensemble d’obligations et de garanties qui sont d’ordre public.
Le choix du bail est donc stratégique pour les deux parties, selon qu’elles ont intérêt ou non de se soumettre au statut du fermage (pour comprendre les enjeux de ce choix, vous pouvez consulter notre article focus).
Le principal enjeu du bail à ferme tient au régime protecteur du preneur, du fait des investissements qu’il réalisera généralement pour exploiter. Pour lui, il existe un intérêt d’obtenir la requalification d’un contrat en ce sens.
Un exemple topique est le prêt à usage : si la mise à disposition est réalisée avec contrepartie (en argent ou en nature) alors le contrat peut être requalifié en bail à ferme. La conséquence principale sera l’obligation du fermier de payer des fermages depuis la conclusion du contrat. En contrepartie, le bailleur ne pourra rompre le contrat sans respecter un formalisme strict, sous peine de renouvellement tacite – et long ! La reconduction sera en effet de 9 ans.
Le bailleur peut chercher à faire échec à la requalification, notamment en opposant la prescription de l’action du preneur.
La Cour de cassation a été récemment amenée à préciser le point de départ de ce délai de prescription.
Quels étaient les faits ?
Une convention pluriannuelle de pâturage (c’est-à-dire un contrat mettant à disposition de l’éleveur une parcelle où faire paître son troupeau) a été régularisée en 2009 entre une SCI propriétaire et des preneurs, pour une durée de 5 ans. Elle portait sur des terres agricoles et un bâtiment d’habitation.
A l’issue, le contrat a été tacitement reconduit. Les preneurs ont assigné en référé la SCI afin d’obtenir sa condamnation à réaliser des travaux. Un an après, de son côté, la SCI a délivré un congé aux preneurs.
Devant le Tribunal paritaire des baux ruraux, les preneurs ont demandé la reconnaissance d’un bail rural, la condamnation de la SCI à l’indemniser à plusieurs titres et l’annulation du congé.
En appel, l’action en reconnaissance de bail rural a été déclarée prescrite, la Cour estimant qu’il s’agissait d’une action en requalification de convention en cours. Elle juge que le délai de prescription courait, sauf fraude, à compter de la date de la conclusion du contrat initial, nonobstant sa tacite reconduction.
Les preneurs se sont alors pourvus en cassation.
La solution dégagée par la Cour de cassation
La Haute juridiction rappelle tout d’abord que l’article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu (ou aurait dû connaître) les faits lui permettant de l’exercer.
Elle souligne qu’en vertu des articles 1214 et 1215 du code civil et d’une jurisprudence constante, le bail tacitement reconduit est un nouveau bail, distinct du bail initial.
Cette reconduction, même tacite, fait obstacle à ce qu’on prenne la conclusion du bail originel comme point de départ, au risque de nier l’existence juridique du nouveau bail.
Il en résulte que, si l’action en requalification en bail rural de la convention pluriannuelle de pâturage initiale se prescrit à compter de sa conclusion, l’action en requalification de chaque convention née ensuite par tacite reconduction se prescrit à compter de sa prise d’effet.
Cette solution s’avère, comme c’est souvent le cas en droit rural, favorable au preneur puisqu’il dispose ainsi un délai de prescription allongé pour défendre ses droits et revendiquer un bail rural. Cela est tout à fait cohérent avec le régime protecteur du statut du fermage.
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A consulter également, notre article sur les demandes concurrentes d’autorisation d’exploiter.