La Cour de cassation a rendu un arrêt remarqué le 29 Mars 2023 en matière d’obligation de reclassement de l’employeur en cas d’inaptitude du salarié.
Une salariée a été licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle à la suite d’une impossibilité de reclassement.
Le médecin du travail la déclare inapte à son poste, tout en précisant qu’elle “pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel en télétravail avec aménagement du poste approprié”.
Elle saisit la justice pour contester son licenciement en raison du manquement de l’employeur à son obligation de loyauté dans la recherche d’un reclassement.
Elle obtient gain de cause devant la Cour d’appel, qui considère que l’aménagement d’un poste disponible en télétravail fait partie intégrante de l’obligation de reclassement.
L’employeur se pourvoit en cassation.
Il est utile de rappeler que l’employeur doit satisfaire de manière sérieuse et loyale à son obligation de reclassement en cas d’inaptitude.
La règle générale en cas d’inaptitude :
L’employeur doit proposer au salarié un emploi « aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé » en l’adaptant au regard « des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise » selon le code du travail.
Autrement dit, si l’employeur a l’obligation d’aménager un poste disponible, il n’a pas l’obligation d’en créer un.
C’est justement sur ce point que la Cour de cassation apporte un éclairage particulier.
La frontière entre aménagement de poste et création de poste semble précisément être de manière indirecte au cœur de cet arrêt.
L’élargissement du périmètre de reclassement :
L’employeur invoquait deux arguments.
L’obligation de reclassement ne concerne que les postes disponibles existant dans l’entreprise.
Il ne peut donc être tenu de reclasser un salarié sur un poste en télétravail que si le télétravail a déjà été mis en place dans l’entreprise ce qui n’était précisément pas le cas.
Il ne peut lui être reproché un manquement à son obligation de reclassement, dans la mesure où le poste de coordinatrice en télétravail ne pouvait être proposé à la salariée déclarée inapte sur ce même poste de coordinatrice.
Réponse de la Cour de Cassation aux arguments de l’employeur :
Sur le premier argument de l’employeur, la Cour de cassation a déjà pu condamner un employeur pour non-respect de l’obligation de reclassement, faute d’avoir proposé un aménagement de poste en télétravail.
Mais dans cette affaire, le télétravail avait déjà été mis en place dans l’entreprise.
Ce n’était pas le cas ici.
La Cour de cassation a considéré que « l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat de travail ».
L’employeur était donc bien en capacité juridique de suivre les préconisations du médecin du travail relevant du « simple » aménagement de poste.
Par ailleurs, soumettre la possibilité d’un reclassement sur un poste en télétravail à une antériorité du télétravail dans l’entreprise peut poser des questions délicates d’égalité de traitement en fonction des salariés éligibles, ou même de la fréquence du télétravail.
Le second argument de l’employeur était plus sérieux cette fois
La déclaration d’inaptitude ne peut intervenir que si aucune mesure d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et si l’état de santé justifie un changement de poste.
On peut donc relever une certaine contradiction ou, a minima, un paradoxe dans l’argumentation de la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation…
Pour dire le licenciement illicite et condamner l’employeur à des dommages et intérêts, il est reproché à ce dernier de ne pas avoir proposé le poste occupé précédemment par la salariée – et nécessairement disponible et vacant – en l’aménageant en télétravail.
Or, l’inaptitude concerne par définition l’emploi précédemment occupé, et l’employeur de s’engouffrer dans cette brèche, pour rappeler que le médecin du travail aurait dû déclarer la salariée inapte avec réserve s’il avait souhaité qu’elle conserve son emploi précédent…
Mais pour la Cour de cassation, le poste de coordinateur, emploi compatible pour un reclassement comporte des missions qui « ne supposaient pas l’accès aux dossiers médicaux et étaient susceptibles d’être pour l’essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail » ; de sorte que l’employeur avait le devoir de proposer une transformation de poste.
Le télétravail semble donc être un simple aménagement de poste lorsqu’il s’agit de transformer un poste existant, mais impliquerait un changement de poste lorsqu’il se couple à un aménagement à temps partiel.
Il convient d’être très vigilant avant de notifier la rupture d’un contrat pour inaptitude du salarié.
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